Dyslexie visuelle, une nouvelle étude : beaucoup de bruit pour rien ?

de Abigail Marshall

Un nouveau compte-rendu de recherche sur la dyslexie et l'acuité visuelle a retenu très récemment toute l'attention des médias ; des titres à sensation font pressentir une découverte révolutionnaire sur les causes et pour le traitement de la dyslexie.

 

Mais la réalité est beaucoup plus modeste : deux physiciens français qui n'avaient pas encore étudié la dyslexie ont fait paraître un compte-rendu sur leurs recherches concernant un élément de la perception visuelle qui n'avait pas été examiné jusqu'ici dans ce cadre, et qui semble être associé à la dyslexie, du moins chez les trente dyslexiques qui ont participé à l'expérimentation. (1)

 

J'étais sceptique au départ, à cause de formules journalistiques faites pour attirer l'attention : la dyslexie      « causée par une déformation de l'œil » ? (Daily Mail) ; Un "moyen de guérir" la dyslexie? (Today’s Parent) Une nouvelle méthode de diagnostic "plutôt simple" par simple observation des yeux du patient (Medicalxpress.com).

 

Quiconque travaille dans le domaine de la dyslexie ou a suivi la recherche dans ce domaine pendant des années aura, je pense, du mal à croire ces formules. La recherche scientifique est par définition prudente, elle prend du temps, procède pas à pas... et surtout, elle a besoin de répéter les expériences.

J'étais encore plus étonnée en lisant le résumé de l'étude. Les chercheurs y disent avoir utilisé ce qu'on appelle un « foveascope » . « Ce qu'on appelle » ?... je n'ai rien trouvé de tel nulle part. La
technique habituellement utilisée pour réaliser des mesures objectives de la rétine semble être la tomographie de cohérence optique (OCT). Comment des résultats peuvent-ils être quantifiés, comparés ou réitérés sans l'utilisation d'instruments standardisés et reconnus par la communauté scientifique ?

 

Heureusement, le texte intégral, qui était d'abord payant semble-t-il, est aujourd'hui visible et téléchargeable gratuitement sur internet. Et il me semble qu'il s'agit d'un exemple assez réussi de recherche pour deux physiciens experts en matière de technologie laser, mais dont c'est la première incursion dans le domaine de la dyslexie (cf le. C.V. d'Albert Le Floch).

 

On n'y trouvera rien de plus que le compte-rendu d'une pré-expérimentation, d'envergure limitée, documentée dans un langage clair qui donne une présentation détaillée et compréhensible des données. Je dois dire que j'ai eu plaisir à lire cette étude, qui part d'un point de vue innovant et créatif.

 

Il existait déjà un grand nombre de recherches, sur plusieurs décennies, relatant les particularités de la perception visuelle en relation avec la dyslexie. Nous avons ici comme la découverte d'une toute petite pièce de puzzle parmi dix mille autres. Nous avons une vague idée de la partie du puzzle concernée (l'aspect oculaire ou peut-être aussi l'aspect hémisphère dominant du cerveau). Mais du fait de la nouveauté de cette étude, nous n'avons aucun moyen de savoir exactement où s'insère ce nouvel élément, ni s'il ne s'agit pas tout simplement de la description d'un phénomène induit artificiellement.

diagramme du foveascope, illustration (1)

Quant à ce fameux « foveascope » , il s'avère que c'est un instrument inventé par les deux chercheurs. Pourquoi l'ont-ils inventé? Parce que la comparaison directe entre les formes de la fovea centralis à droite et à gauche est  « inaccessible » et que « l'analyse ne peut être faite que post mortem » . Non, il n'ont pas regardé leurs sujets dans les yeux, mais ont créé un protocole expérimental dans lequel ils ont amené leurs participants adultes à décrire ce qu'ils voient lors
d'un effet d'image rémanente.


Cela ne nous dit rien sur ce que des enfants verraient, ou pourraient voir, dans une situation analogue. Et cette expérience ne semble ni plus ni moins fiable, pour poser un diagnostic, que de demander à une personne si les lettres lui semblent bouger sur la page.

On sent ici transparaître la naïveté de ces deux chercheurs. Leur audace semble liée à leur manque de connaissances des multiples symptômes depuis longtemps observés, analysés et utilisés dans le domaine de la dyslexie. Ils écrivent par exemple que l'utilisation d'une lampe à led spéciale a eu un effet      « étonnant » dans le protocole expérimental sur la perception visuelle des dyslexiques. Or les lentilles et les filtres de couleur, ainsi que les lampes spéciales, sont utilisées depuis plusieurs décennies comme aide pour les dyslexiques. (2) La recherche est certes mitigée sur l'efficacité de ces expériences - mais on ne peut plus s'étonner qu'un effet soit remarqué dans le contexte d'une telle expérience. Surtout dans le cas présent, où les chercheurs ont présenté un faux effet visuel au lieu de demander aux participants de regarder réellement du texte imprimé sur une page ou à l'écran.

 

Enfin, naturellement, ceux d'entre nous qui travaillent avec les méthodes de Ron Davis sont bien conscients des effets de l'orientation et de la désorientation sur la perception. Globalement, les chercheurs français n'ont rien fait d'autre que d'essayer de mesurer et de comparer une particularité bien connue de la dyslexie. Les symptômes ne sont pas des causes et les chercheurs n'ont pas pu prouver si la particularité qu'ils observaient tenait de la dyslexie elle-même ou était le résultat de toute l'évolution personnelle de leurs dyslexiques en tant que non-lecteurs, ou simplement un artefact de leur protocole expérimental. C’est
une lacune dans leur méthode ou leur biais de sélection.

 

Je reviendrai dans un autre article de blog sur cette étude et sur les liens à faire entre elle et d'autres recherches. Certes, ces chercheurs ont beaucoup travaillé pour réaliser leur expérience et pour rendre compte de leurs résultats. Combiné avec l'intérêt peut-être exagéré suscité dans les médias, leur compte-rendu mérite en tout cas d'être analysé de plus près.

 

Pour le moment, contentons-nous de retenir que cette étude ne dit pas ce que les articles de presse lui font dire. C'est un problème très courant que de voir la presse relater à sa façon
les résultats de recherches scientifiques, répandant des inexactitudes et des malentendus dans l'opinion publique. Le but de la recherche scientifique est  d'améliorer et de compléter le corpus du savoir scientifique universel. Les titres à sensation et les affirmations exagérées sont tout à fait contreproductives.

 

On trouvera des commentaires qui abondent dans mon sens chez des spécialistes français de la dyslexie dans Non, on n’a pas encore trouvé de cause de la dyslexie!

 

Les références :

Le Floch A, and G.Ropars. Left-right asymmetry of the Maxwell spot centroids in adults without and with dyslexia. Proceedings of the Royal Society B, Biological Sciences 2017 Oct 25:284(1865)

Uccula A, Enna M, Mulatti C. Colors, colored overlays, and reading skills. Frontiers in Psychology. 2014;5:833. doi:10.3389/fpsyg.2014.00833.

 

ndt : Les liens donnés par cet article américain sont naturellement en anglais, et l'étude des chercheurs est parue en anglais seulement (voir liens dans le texte) ; en France, de nombreux journaux comme Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien, La Croix relatent cette découverte (voir sur internet avec pour mots-clefs les noms des auteurs, Guy Ropars et Albert Le Floch, de l'Université de Rennes 1)

 

lien vers le site original

 

Mise à jour du 28 October 2017 :

J'ai trouvé un texte sur un autre blog, cette fois de Mark Seidenberg, qui dirige des recherches en neurosciences cognitives et expert de l'acquisition du langage. Je citerai un passage clé : « Les dyslexiques, leurs familles et leurs enseignants, les chercheurs en stratégies de lecture et les spécialistes du traitement de la dyslexie, ainsi que les organisations qui les représentent posent la question: quelqu'un vient-il vraiment de découvrir la cause et le traitement de la dyslexie ? (Je le dis de source sûre : je reçois des e-mails). En tant que personne ayant mené des recherches dans ce domaine, ma question est différente : comment ce terrible article a-t-il été publié et comment contrecarrer ses conséquences funestes ? »

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