Les méthodes de lecture de 1930 à nos jours

Dans les années 30, Ovide Decroly, pédagogue, psychologue et professeur de psychologie de l’enfant, est médecin éducateur pour enfants dits « anormaux » et est à l’origine d’une nouvelle méthode d’enseignement. Les idées maîtresses de sa pédagogie reposent sur les centres d’intérêt de l’enfant, l’observation et la globalisation.

 

Le jeune enfant apprend et accumule les expériences sans ordre. Il perçoit le monde dans sa globalité et c’est cette démarche qu’il adopte à l’école : à partir d’un composé concret, réel et signifiant pour passer, plus tard au particulier et aux détails abstraits.

 

C’est cette prescription que préconise encore aujourd’hui la méthode dite « méthode globale ».

 

Entre les années 20 et 50, en France, on utilise souvent la méthode Boscher : méthode syllabique classique. Dans la préface, on peut lire qu’elle permet « de renforcer la mémoire visuelle par l’attention accordée à chaque élément des mots et par conséquent de donner à l’orthographe une base solide ». Par ailleurs, elle contient des exercices d’écriture. Il s’agit d’une écriture analytique, bien sûr.

 

Dans les années 1960, avec l’expérimentation de nouvelles procédures d’entrée dans la culture écrite dont le Plan de rénovation de l’enseignement du français de 1970 et les instructions officielles de 1972, jusqu’à la fin de la même décennie s’inspireront, on assiste à la promotion de la méthode idéo visuelle.

 

Méthode idéo visuelle : E. Charmeux et J. Foucambert, comme dans la méthode globale, font de la compréhension leur priorité. Ils préconisent l’abandon de la lecture à voix haute ainsi que celui de l’apprentissage systématique de la combinatoire. Les enfants travaillent sur des écrits sociaux (recettes de cuisine, catalogues…) à partir desquels ils formulent des hypothèses, en se servant d’indices extraits des textes. Ils vérifient par la suite leurs hypothèses.

 

Cette méthode est basée sur la mémoire visuelle et auditive. L’enfant part des mots, des phrases. La décomposition des mots en syllabes et en lettres n’intervient que dans un deuxième temps.

 

La syllabique : On distingue deux approches différentes

  • l'approche syllabique à entrée phonique, dite également approche analytique qui prend pour point de départ les sons de la langue, les phonèmes, que l'on met en relation avec les graphèmes (différentes façons d'écrire ce son) puis que l'on repère dans les mots et enfin dans les phrases.
  • l’enseignement phonique synthétique : on convertit les lettres (graphèmes) en sons (phonèmes) et ensuite on associe les sons pour former des mots reconnaissables.

 

Depuis 2004, on a longuement parlé de la guerre des méthodes.

 

Selon les statistiques du ministère de l’Education de 2015, 19,4 % des jeunes entre 16 et 25 ans, sont en difficulté, voire très grande difficulté de lecture. Selon le ministère de l’Education Nationale, les pourcentages d’élèves en difficulté augmentent de manière significative pour tous les critères, et la proportion globale d’élèves en difficulté de lecture à l’entrée en sixième passe de 20,9 % à 31,3 % entre 1997 et 2007.

 A l’université de Lyon, ETUDYS note que parmi les 969 étudiants en situation de handicap recensés au cours de l’année 2012-2013, 326 (soit 33,6 %) présentaient des troubles du langage, généralement une dyslexie.

 

Jean-Pierre Terrail, sociologue, a récemment fait une synthèse de différentes études tant françaises qu’étrangères concernant l’apprentissage de la lecture.

 

Intégralité de cette synthèse sur : www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article226

 

Il a rapproché :

  • une étude française dirigée par Goigoux, l’enquête ELE (Lire et Ecrire)
  • une étude américaine portant sur les manuels : National Reading Panel (NRP) 1999
  • une étude écossaise de Rhona Johnston et Joyce Watson (2005)
  • une étude française de Zormann et Fressous (2009)
  • une étude d’E. Gentaz et L. Sprenger portant sur la compréhension en lecture
  • une étude de J. Deauvieau (2013) portant sur l’incidence du choix du manuel et la réussite dans l’apprentissage de la lecture.

 

Je vous propose de lire quelques remarques extraites de cette synthèse : Le NRP considère que l’enseignement phonique synthétique est la meilleure façon de procéder.

 

« Cet avantage reconnu à l’entrée graphémique est conforté par l’enquête britannique Johnston évoquée ci-dessus. Des trois groupes d’élèves comparés, celui qui a bénéficié d’une approche synthétique (déchiffrage graphémique) réalise, en fin d’année de CP, des performances en matière d’épellation, de lecture de mots isolés comme de pseudo-mots nettement supérieures à celles des deux autres groupes, qui ont bénéficié d’une approche analytique. (Or l’approche analytique est largement prépondérante en Grande-Bretagne et en France). Le fait que l’un de ces deux derniers groupes ait bénéficié d’un travail complémentaire de discrimination phonétique ne lui donne aucun avantage. En fin de première année d’apprentissage, le groupe « entrée synthétique » dispose d’une avance de 7,5 mois sur les deux autres en matière de « maturité scolaire » […]

 

« L’enquête Manuels met pour sa part en évidence une corrélation significative entre les performances des élèves aux quatre épreuves auxquelles ils ont été soumis en fin de CP : fluence, compréhension, orthographe, syntaxe. Meilleure est la vitesse de décodage, meilleur est le score obtenu à l’épreuve de compréhension d’un texte lu en autonomie. La comparaison des scores moyens obtenus dans les 23 classes enquêtées montre la même corrélation significative entre fluence et compréhension. En regroupant ces classes en fonction du manuel qu’elles utilisent, on observe que les scores moyens correspondant aux quatre groupes ainsi obtenus sont hiérarchisés à l’identique quelle que soit l’épreuve considérée. Le groupe des classes qui utilisent le manuel Je lis, j’écris, classé premier à l’épreuve de fluence, creuse l’écart à l’épreuve de… compréhension. Ce manuel qui se révèle « le plus efficient avec les élèves des milieux défavorisés, note le rapport d’enquête, est aussi le plus exigeant non seulement dans l’apprentissage technique du code, mais aussi dans ses contenus intellectuels, de par l’ambition lexicale et littéraire des contenus qu’il donne à lire aux élèves. C’est au test de compréhension qu’il marque le plus son avantage, ce qui ne peut être dû qu’à cette double caractéristique : un entraînement précis et rigoureux au déchiffrage, et une richesse de contenu qui invite, dans les classes qui l’utilisent, à un travail ambitieux sur la langue. »

 

« Les utilisateurs de manuels centrés sur le code ont de meilleurs résultats en compréhension que ceux de manuels « intégratifs » (qui, soucieux de privilégier le sens, accordent une place importante à la lecture devinette). »

 

Quelles conclusions en tire-t-il ?

Il liste les pratiques d’enseignement les plus efficaces pour les élèves les plus faibles, et donc bonnes pour l’ensemble des élèves :

 

« 1/ L’accès à la compréhension de l’écrit a pour condition première et absolue, sinon suffisante, une capacité de déchiffrage précise, fluide, attentive à la ponctuation. Il bénéficie également de l’enrichissement du vocabulaire assuré au long du CP, ainsi que du travail collectif consacré spécifiquement à décrypter le sens des textes lus au cours de l’année.

 

2/ L’apprentissage qui conduit à un déchiffrage précis et rapide (la « fluence ») doit être consacré dès le départ à l’étude des correspondances graphophonémiques (sans approche globale préalable de mots-outils). Il doit assurer une progression rapide de l’étude et proposer des énoncés entièrement déchiffrables, en privilégiant donc une entrée graphémique (apprendre à déchiffrer des graphèmes plutôt qu’à transcrire des phonèmes). La lecture à voix haute sous la direction de l’enseignant doit en être un instrument privilégié.

 

3/ L’apprentissage de l’écriture doit accompagner celui de la lecture, dès le début pour ce qui est de la calligraphie et des dictées, quand cela devient possible pour ce qui est de la production d’écrit. Il s’avère utile d’engager dès le CP un travail spécifique, outre l’orthographe, sur la syntaxe et notamment sur les accords grammaticaux, ainsi que sur les termes de la métalangue. »

 

Ce qui peut inquiéter :

« L’enquête ELE permet non seulement d’identifier les pratiques efficaces, mais aussi de mesurer la fréquence de leur mise en œuvre. Cette mesure a une certaine crédibilité : l’échantillon est important, et les enseignants enquêtés sont relativement plus expérimentés – et confiants dans la pertinence de leurs pratiques – qu’en moyenne. Or il est particulièrement frappant de constater que les pratiques les plus efficaces sont loin d’être le fait d’une majorité de maîtres. Relevons quelques aspects saillants de cette situation. Ainsi (ELE) :

  • la vitesse de progression de l’étude des correspondances graphophonémiques (CGP) : seules 40% des classes dépassent le seuil d’efficacité de 11 CGP étudiées au cours des deux premiers mois de l’année ;
  • du taux de déchiffrabilité des supports de lecture : seules 10 % des classes proposent des énoncés dont la déchiffrabilité moyenne est (nettement) supérieure à la moyenne générale de l’échantillon, la moitié seulement de ces 10% s’approchant du maximum possible du fait de l’absence de mots-outils identifiés globalement ;
  • (Vitesse de progression et taux de déchiffrabilité vont en général de pair, les pratiques les plus efficaces associant tempo rapide et énoncés les plus déchiffrables ne sont pas le fait de plus de 5% des classes) ;
  • de la lecture à voix haute sous la conduite du maître : là aussi les écarts sont très sensibles, le temps consacré à cette activité variant du simple à plus du double entre le quart les classes les moins pratiquantes et le quart des classes les plus pratiquantes, ces dernières étant les seules à dépasser (55’ vs 38’ hebdomadaires) le temps moyen de la lecture à voix haute dans l’échantillon ;
  • du travail sur la compréhension autonome des textes lus : la pratique la plus efficace, qui consiste à élever au long de l’année le temps consacré à ce travail, afin d’assurer d’abord un déchiffrage habile, est le fait de moins d’une classe sur cinq ;
  • des tâches d’écriture : la dictée, particulièrement utile pour les élèves les plus faibles, n’occupe que 16% en moyenne du temps consacré au travail d’écriture ; et seules quelque 35% des classes enquêtées dépassent significativement la moyenne de 22’ par semaine. »

En mars 2016

Les préconisations de la Conférence de consensus sur la lecture de mars 2016 sont conformes aux conclusions des différentes études. Elle conseille :

  • d’ associer le travail de discrimination phonémique pratiqué en grande section de maternelle à l’identification des signes alphabétiques correspondants ;
  • de démarrer le CP par l’étude soutenue des correspondances graphophonémiques afin de permettre au plus vite un décodage autonome ;
  • de faire régulièrement lire les élèves à voix haute ;
  • de mener conjointement une activité d’écriture régulière ;
  • de développer les capacités de compréhension des élèves grâce à l’enrichissement de leur vocabulaire, à un travail explicite et réfléchi sur la morphologie des énoncés, à leur familiarisation avec les genres de l’écrit et à une introduction à la « lecture littéraire ».

Jean-Pierre Terrail conclut en disant « qu’il existe un éventail de manuels disponibles dont certains proposent un apprentissage très conforme tant aux enseignements de la recherche qu’aux préconisations de la Conférence de consensus de 2016. »

 

Il paraît évident que l’Education Nationale doit former et informer ses enseignants rapidement afin que tout soit mis en œuvre rapidement pour diminuer le nombre d’enfants et donc de citoyens en difficulté de lecture. Mais on peut par ailleurs se poser la question sur les pratiques des intervenants extérieurs à l’école et reconnus par les instances officielles qui persistent à utiliser, sans succès notoire, une approche phonémique analytique et non graphémique.

Ginette Donnet,

 

professeur de Français de collège, diplômée de l'Université Descartes dans la lutte contre l'Illettrisme. Au-delà de son profession, elle s’investit dans la prise en charge des difficultés de lecture. Elle contribue notamment à la formation continue des enseignants du secondaire et la formation initiale des futurs professeurs des écoles. A l'aube de sa retraite, elle découvre la méthode Davis qui apporte une réponse à ses interrogations concernant la prise en charge des enfants confrontés à l’apprentissage de la lecture. Depuis lors, par passion, elle encadre des stages pour enfants et adultes handicapés par une mauvaise maîtrise de la lecture, des mathématiques, et présentant des troubles d’attention.

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